Concours de Nouvelles 2021
Catégorie des Sages

Le 1er prix de la catégorie des Sages revient à

M Paul Martel  pour sa nouvelle ‘ Merci facteur »

2éme prix des Sages revient à Mme Natacha Wilmout pour sa nouvelle » Renaissance »

le 3éme prix des Sages  revient  à Andrea Waguener pour sa nouvelle  » Un rêve Salvateur »

Le prix coup de Coeur du Jury revient à Mme Odile Villois pour sa nouvelle  » La Clé »

2 eme prix sage

Catégorie Adultes

Le 1er prix Adultes est revient à Aly Drian pour sa nouvelle « Va Charmante Rose »

Le 2éme prix revient à  Laoshi pour sa nouvelle

« Lettre à Julia »

Coup de Cœur du Jury 2021

LA CLE…

  1. Odile Villois –

Pascuala rentrait de courir sous une pluie battante, de celle qui vous pénètre et vous glace… Un temps de Toussaint… Elle haïssait l’automne, sauf pour ses champignons et ses châtaignes…

Pascuala est une de ces coureuses à pieds que même la pire des météos ne rebute. Elle court comme elle respire, et comme elle est bien en vie, elle court tout le temps. Devant son portail, elle fouille ses poches. Mains humides… Où sont ces foutus clés ? Ah voilà, portail ouvert. Elle fait quelques pas… La boite à lettres… Peut-être que Margaux est passée… Margaux, la postière… Tiens, du courrier… Elle s’en saisit, s’apprête à l’ouvrir et se rappelle les propos de sa mère. Ne l’ouvre pas comme une sauvage, prends un couteau. La pluie redouble d’intensité. Elle glisse le pli dans sa poche. On verra plus tard. Mieux vaut rentrer que d’attraper la crève… Eviter la grippe à tout prix cette année, c’est ce que disent les érudits, médicaux ou pas… Pour une fois, elle sera mouton et écoutera… Un mouton rebelle… Juste pour une fois, enfin pour le mouton, car pour ce qui est de la rebelle qui l’habite…

Assise dans son fauteuil, devant un café, elle lit… Un polar… Une histoire de corbeau dans un petit village… La lettre… Dans sa poche… Oubliée… Dans sa poche… Il faut se bouger, aller la chercher… Dans sa poche… Retour dans son fauteuil… Un café qui se refroidit, comme habituellement… Elle se délecte de ce goût de caramel… Ce qu’ils peuvent inventer… Bon, cette lettre… Pas d’expéditeur… Tiens, même pas de timbre… Même pas une vraie adresse… Juste ces quelques mots… Pour vous… Les affaires qui reprennent, probablement un futur lecteur… Et oui, elle ne l’a pas dit, mais elle écrit, des polars, mais pas que… Alors une lettre, déposée dans sa boite à lettres, sans expéditeur, sans destinataire, en plein mystère… Dis donc, l’auteur de polar, on atterrit… C’est juste une lettre… Alors, ouvre-la !

Et elle aurait mieux fait de la laisser dans sa poche… Cette lettre aurait probablement fini à la machine et n’en serait pas ressorti indemne… Du papier mouillé, indéchiffrable…Elle est là, figée, relisant encore et encore, ce qu’elle a sous les yeux… Elle frissonne… Que doit-elle faire ? Donner de l’importance à ce pli ? Le froisser et le jeter ? Et soudain, l’angoisse l’envahit en même temps qu’une certaine curiosité… Qui se permet de la défier ? Oui, voilà, c’est ça. Il ne faut pas qu’elle prenne ce pli comme une menace, mais comme un défi et elle sait déjà qu’elle vient de perdre la raison… Elle se prend à relire le message à voix haute, comme si cela y changerait quelque chose… « Si vous êtes la personne qui a perdu cette clé, alors vous êtes ma prochaine victime… sauf si vous trouvez ce qu’elle ouvre… Vous avez 48 heures… PS : si vous n’êtes pas cette personne, dommage pour vous… Vous venez de la remplacer et cette mission devient la vôtre… ». Si elle en croit le texte, essayer de retrouver le vrai destinataire de cette lettre ne lui apporterait rien, car même si elle parvenait à ses fins, ce destinataire ne serait plus concerné… Ce qui la gênait un peu dans ce message, c’est qu’il la désignait comme « prochaine victime » et ça, elle n’aimait pas du tout, car pour elle, victime était forcément apparentée à tueur… Elle frissonna de nouveau, prit une grande inspiration, ferma les yeux. Il fallait qu’elle oublie le message dans sa forme et qu’elle se concentre sur cette clé, non pas pour savoir ce qu’elle ouvrait, mais pour savoir pourquoi l’expéditeur voulait à tout prix qu’elle ouvre quelque chose. Elle s’assit, se saisit de la clé. Elle en commença, comment dire… l’autopsie…

Et il fallait qu’elle réalise celle-ci comme un professionnel de la chose, comme un vrai médecin légiste. Ah ce qu’elle aurait aimé être médecin légiste. Trêve de baliverne, elle prend son dictaphone et commence. D’abord, l’aspect général… Clé mesurant environ… non, non, elle se devait d’être précise, pas d’environ ! Une règle… Voilà… Donc, clé mesurant 5,2cm, pesant… Aaaah, une balance, maintenant… alors, pesant, 21 grammes, de couleur ambre ressemblant au laiton. L’anneau, sa partie haute, est plat et plein, ressemblant à un cœur, ce qui expliquerait l’inscription gravée « Corazon », pas d’embase, la tige est… Bizarre, habituellement le corps d’une telle clé est cylindrique, et là, il est plat, mais bon… En y regardant de plus près, le corps a été écrasé, aplati. On note des traces d’impact et des traces de lime. Donc, le corps est plat, avec une rainure symétrique d’environ un millimètre, sur les deux faces. Reste le panneton qui a été travaillé. Le bas ressemble à… une moustache retombante et taillée à angles droits. Un filetage traverse celui-ci de part en part et le bout est rond et creux. Quoi d’autre ? Rien, si ce n’est que c’est une clé qui pourrait ouvrir moultes serrures… A ouvrir ou à… remonter…

Pascuala reposa la clé, dubitative. Quelque chose la perturbait, mais quoi ? Une odeur ? Elle prit la clé, la porta devant son nez. Oui, une odeur. Une odeur d’encens, non, de cuir, oui c’est ça, de vieux cuir tanné. Elle était bien avancée ! Et puis, elle eut une idée. Pourquoi ne pas aller voir le cordonnier du village ? Il réparait les souliers certes, mais faisait aussi office de serrurier. Et si elle se souvenait bien, il lui avait dit un jour qu’il était clavophile. Quoi, c’est quelqu’un qui collectionne les clés… Certains trouveront bizarre que ce cordonnier soit également serrurier, mais ne vous y trompez pas, ceux-ci étaient rares, mais il se trouvait que dans ce village, il y en avait un.

Elle adorait rentrer dans cette échoppe, oui, une échoppe, pas une boutique. En disant échoppe, elle s’imprégnait de l’atmosphère immédiatement, ce qu’elle fit.  Une clochette tinta lorsqu’elle poussa la porte dont les gonds crièrent quelque peu. Ici, on respirait le cuir, la colle, le vernis, le cirage, la graisse, mais aussi la poussière, il est vrai et c’est ce qui en faisait un endroit plein de mystères. Elle parcourut du regard les outils accrochés au mur. Elle y reconnut différentes sortes de marteaux, à battre, à clouer, de galochier long et fin et celui qui se disait de Louis XV, aux pannes et têtes très longues. Sur une étagère, trônaient des boites d’œillets et leurs pinces, des bobines de fil de lin ou de chanvre, des bandes de cuir, de caoutchouc, des patins de feutre, des tas de lacets. Sur un établi, trainaient des emporte-pièces, des crampillons, des embauchoirs de toute sorte, une enclume solidement fixée, des conformateurs dont l’un maltraitait déjà ce qui allait devenir, à en deviner la forme, une galoche. Et tout au fond, dans un recoin, vers l’arrière de l’échoppe, il y a des clés, des tas de clés, accrochées de façon archaïque pour le visiteur, mais probablement bien rangées pour son collectionneur qu’elle se surprit à découvrir, à quatre-pattes, derrière une vieille chaise.

  • Bonjour, entrez, faites comme chez vous, je suis à vous tout de suite.
  • Bonjour, vous avez perdu quelque chose, je peux vous aider ?
  • Je cherche un objet, un maudit objet qui me fait défaut depuis très longtemps.

Pascuala frissonna… Il cherchait un objet, un maudit objet… Peut-être que… Idiote… Il cherchait un outil, un outil probablement indispensable à sa profession… Elle se dirigea vers le fond de la pièce, là où les clés attendaient une serrure improbable à ouvrir. Il y en avait à foison, des petites, des longues, des tordues, des sculptées, des… qui ne ressemblaient à rien. Elle s’engaillardit à les frôler, à les toucher délicatement comme des pièces de musée et elle se surprit à les entendre tinter, non, chanter…

  • Ça vous plait comme musique ?
  • Oui, j’aime bien. On dirait qu’elles chantent. Je me souviens d’une pendule que ma grand-mère avait. Elle trônait sur une étagère de la cuisine. J’adorais regarder ma grand-mère la remonter. Je me souviens de cette jolie musique qui sonnait. Le mécanisme était si usé qu’il manquait des lattes sur le rouleau et cela donnait un son particulier à la mélodie, comme si quelqu’un chantait avec une voix éraillée, vous voyez ! Vous souriez, mais ce souvenir se ravive chaque fois que j’entends la même mélodie. Et toutes ces clés chantent avec cette voix éraillée, à l’unisson.
  • C’est ça. Peu de gens en font la remarque. Toujours des gens pressés qui déposent leurs chaussures, reprennent leurs chaussures, demandent un double de clés, sans en demander plus. Quelle tristesse d’en être rendu là… Alors, quand j’ai la chance de voir entrer une personne comme vous, cela me conforte, soyez-en sur ! Je vous ai observé souvent devant mon échoppe… Mais je parle, je parle… Peut-être que vous êtes pressée vous aussi…
  • Pas du tout, j’ai tout mon temps. En fait, pas tant que ça…
  • Qu’est-ce que je peux faire pour vous ?
  • Je ne sais pas si je peux vous demander cela, mais en même temps, si je ne le fais pas, je ne vois pas qui d’autre aller voir.
  • Si vous ne m’en dites pas plus, je ne pourrais vous aider, vous savez.
  • Oui, mais…

L’homme se leva, se rapprocha d’elle et la regarda étrangement… Pascuala plongea sa main dans sa poche, se saisit de la clé. Elle hésita encore. Le regard de l’homme devint plus incisif, plus profond, plus bleu, de ce bleu impénétrable… Elle finit par sortir la clé et la posa sur le coin de l’établi… Une drôle de lueur envahit la pièce…

  • Monsieur, Monsieur ? Est-ce que ça va ? Ouvrez les yeux. Manquait plus que ça. Monsieur ?

Le vieil homme ouvrit les yeux, murmura quelques mots incompréhensibles et se mit à trembler. Il tourna la tête, regarda Pascuala et leva la main, un doigt tendu vers les clés.

  • Là-bas… derrière…

  Pascuala tourna la tête à son tour, regarda vers les clés, fronça les sourcils.

  • Qu’est-ce que vous essayez de me dire ?
  • Regardez derrière la dernière planche de clés. Dans le recoin, il y a une étagère et il y a… Allez-y et prenez ce qu’il y a dessus. Faites vite, car je n’aurai que peu de temps pour vous expliquer.

Pascuala ne savait que penser… Elle se dirigea comme fiévreuse vers l’endroit indiqué… Et elle la vit… Une vieille pendule en bois, que la poussière avait recouvert et qui lui donnait un air de trésor enfoui. Elle tendit l’oreille, mais rien… Elle avança la main, saisit prudemment l’horloge de peur de la voir se disloquer. Etrange, oui très étrange… Et cette drôle de sensation d’être observée, non pas par le vieillard qui, vers elle, s’avançait, mais par cette horloge et plus précisément par le cadran dont les aiguilles tordues brillaient comme jamais. Elle posa l’horloge sur l’établi et s’assit.

  • Alors, vous me racontez.
  • Oui, je vais vous raconter, mais promettez-moi de ne pas me poser de question quand le moment sera venu de…
  • Mais vous pleurez !
  • Ce n’est rien. Ecoutez-moi bien et ne m’interrompez pas. Il me reste si peu de temps…

Pascuala se figea. Quel secret liait ce vieil homme et l’horloge ? Et quelle place cette foutue clé occupait dans cette histoire ?

  • Voilà. Il y a bien longtemps, j’ai acheté cette échoppe qui appartenait à un horloger pour m’y installer en tant que cordonnier. Alors que nous nous efforcions, ma femme et moi, de faire place nette, nous trouvâmes cette horloge cachée au fond d’une caisse. Elle semblait ne plus marcher, mais ma femme insista pour la nettoyer et essayer de lui redonner vie. Malgré tous ses efforts, elle n’y parvint pas. Il manquait une pièce essentielle, une clé. Mais plutôt que de la mettre au rebut, elle l’installa sur un coin de l’étagère et nous finîmes par l’oublier… Enfin, c’est ce que je croyais… Les années passèrent jusqu’au pire instant de mon existence. Ma femme, malade, aux frontières du paradis, me fit promettre de rester en vie le plus longtemps possible et de ne jamais songer à la rejoindre tant que je n’aurai pas retrouver la clé pour que cette horloge se remette à marcher. Comme une prémonition, elle savait que cette clé, que ce soit pour l’horloge, mais aussi pour moi, servirait à remonter le temps. J’ai cherché cette clé dans les moindres recoins pendant des lustres et des lustres, mais rien… Alors, je me suis imaginé serrurier et, après avoir fabriqué nombre et nombre de clés, j’ai fini par obtenir LA clé. Je ne vous décrirai pas l’instant où j’ai glissé cette clé, mon trésor, dans la serrure du remontoir. La voici, vous voyez.

Pascuala regarda la clé que tenait le vieil homme. Presque jumelle de la sienne si ce n’est qu’il manquait cette inscription « Corazon », cœur en français. Des larmes coulaient le long de ses joues. Elle ne sut dire si c’était de joie ou de douleur.

  • Vous voyez, les clés que vous avez touchées toute à l’heure, sont toutes celles que j’ai fabriquées avant d’obtenir LA clé.
  • Et alors, que s’est-il passé lorsque vous avez pu remonter l’horloge ?
  • ..
  • Comment ça, rien ? Ça n’a pas marché ?
  • Si, enfin, non… J’ai glissé la clé, j’ai tourné, lentement. J’ai su que le mécanisme s’enclenchait. Les aiguilles se sont mises à briller, puis plus rien. La lampe à huile s’est éteinte, j’étais dans le noir… Une main a touché mon visage… Ma femme était là… Le lendemain, j’ai cru avoir rêvé, mais l’horloge était là, sur mon établi, la clé posée tout à côté… Depuis, chaque fois que je remonte l’horloge, le soir, le même phénomène se produit. J’ai l’impression que ma femme essaye de me dire quelque chose, mais je ne comprends pas…
  • Une bien étrange histoire que la vôtre ! Bon revenons à ce qui m’amène ici. La clé que vous voyez là, a été déposée dans ma boite à lettres accompagnée d’un drôle de message. Pour résumer, j’ai deux jours pour trouver ce qu’elle ouvre sinon… sinon… Bah je sais pas trop bien ce qui m’arrivera si je ne trouve pas ce qu’elle ouvre. Voilà. J’avais vu que des clés étaient accrochées dans votre boutique, pardon, échoppe, et je suis donc venue directement ici pour voir si vous pouviez m’aider.

Le vieil homme attrapa la clé, avec douceur, comme s’il se saisissait d’une chose fragile. Il la regarda, la caressa du regard et de la main, puis la reposa. Il semblait ne plus être là.

  • Incroyable ! Qui vous l’a donnée ?
  • Bah justement, je ne sais pas. Elle était dans une enveloppe avec un message que j’ai trouvée dans ma boite à lettres. Sur l’enveloppe, était écrit « Pour vous ».

Pascuala plongea sa main dans sa poche et en ressortit l’enveloppe.

  • Regardez ! On dirait presqu’une écriture de gamin !

Le regard du vieil homme se troubla un seconde fois.

  • Mon fils…
  • Quoi, votre fils ? Vous avez un fils ?
  • Oui, mais nous nous sommes fâchés lorsque ma femme a disparu…
  • Et quel rapport avec ma clé ?
  • Votre clé est celle que je cherchais !
  • Quoi ? Mais alors…

La clochette de la porte d’entrée s’ouvrit sur un homme d’une quarantaine d’année, l’air grave. Pascuala l’entendit prononcer cette phrase.

  • Maman me l’avait donnée avant de partir, me faisant promettre de ne jamais chercher à savoir ce qu’elle ouvrait. J’ai tenu ma promesse jusqu’à ce que je me retrouve devant ton échoppe. Je suis devenu cordonnier et je me suis dit que la personne qui me permettrait de devenir un très bon cordonnier ne pourrait être que mon père. Mais je ne savais pas comment faire pour te reparler. Alors, j’ai eu cette idée, de distribuer cette clé au hasard. Quand j’ai vu que cette dame avait fini par accorder de l’importance à mon message et qu’elle avait décidé de venir ici, je l’ai suivie… Le reste…
  • Mon fils, maintenant que nous sommes de nouveau réunis grâce à cette clé, je vais devoir te quitter car à moi aussi, ta mère m’avait demandé de faire une promesse, celle de la rejoindre lorsque la clé serait retrouvée. C’est chose faite et j’en suis aise. Je sais que tu seras un très bon cordonnier.

Le vieil homme embrassa son fils, attrapa la clé, ouvrit l’arrière de l’horloge. La clé n’eut aucun mal à se glisser dans le remontoir. Après quelques tours minutieux, le tic-tac envahit l’échoppe. Les aiguilles eurent un vif éclat, tout comme l’inscription qui vira au rouge vif ! Le vieil homme porta la main à son cœur, ferma les yeux dans un soupir. Un autre tic-tac venait de s’arrêter…